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Retour d'enquête: que sont-ils devenus?

QUE SONT-ILS DEVENUS ?

Retour d’une enquête réalisée par Mme Doriane SILVESTRE, à partir de témoignages de jeunes accompagnés par la Maison d’Enfants à Caractère Social (MECS) LA PROVIDENCE

La question du devenir des anciens confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) saisit les acteurs de la protection de l’enfance depuis plusieurs années. L’avenir des jeunes suivis par l’ASE est souvent associé, dans l’opinion publique et même dans l’esprit de certains acteurs professionnels, à des images négatives. L’échec de la protection de l’enfance, principe exposé de manière récurrente, serait induit par les mauvaises voies empruntées par ces jeunes. Ces derniers sont alors assimilés à de futurs délinquants, à des sans-abris ou encore à des personnes qui ne pourraient échapper à un triste destin après leur passage dans la protection de l’enfance.

A la MECS La Providence, à Orange (84), nous nous sommes posé la question du devenir des anciens de notre établissement, en mettant à l’écart ces idées préconçues. Nous avons souhaité analyser les parcours de ces jeunes une fois majeurs et sortis des dispositifs de la protection de l’enfance. Les objectifs étaient donc multiples : donner la parole aux anciens de la MECS, éclairer la question du devenir, et au fond savoir si le travail d’accompagnement réalisé dans l’établissement avait un impact positif dans le parcours de ces jeunes. Ainsi, nous avons interrogé un axe précis de la question du devenir : l’entrée dans la vie adulte. Cette orientation permet donc d’analyser une phase commune de la vie à tous.

Pour ce faire, nous avons réalisé un portrait type de la jeunesse actuelle en France pour savoir comment dans la majorité des cas l’entrée dans la vie adulte se déroulait. Afin de ne pas nous égarer dans notre travail, nous avons choisi trois critères pour définir cette phase de la vie, en nous appuyant sur les travaux d’Olivier Galland. Ainsi, il est question de la vie professionnelle, de l’autonomie résidentielle et de la vie de couple et familiale. L’ensemble de notre étude concerne des jeunes âgés de 18 à 25 ans. Les données statistiques nationales et livresques ont démontré qu’actuellement la jeunesse est une phase transitoire qui mène vers les rôles d’adultes, laquelle a tendance à s’allonger au fil des époques. Nous constatons alors un recul significatif de l’entrée dans la vie adulte pour la majorité des jeunes en France. Ce phénomène s’explique notamment par la place du diplôme, très importante aujourd’hui dans les esprits, d’où le nombre croissant d’étudiants. Egalement par la conjoncture actuelle, où les jeunes, devenus les proies d’un chômage de masse, subissent les difficultés liées à l’accès au marché du travail et au logement. L’analyse des témoignages des anciens de la MECS La Providence met en évidence des écarts entre les jeunes de l’ASE et les autres. Si l’on constate un taux d’échec scolaire important, qui les pousse à entrer plus rapidement dans la vie active pour acquérir une expérience et ainsi remédier à leur déficit de qualification, la majorité est à l’emploi très vite, alors que le chômage touche près de 2 millions de jeunes dans le pays. Nous remarquons également qu’une fois entrés sur le marché du travail, ces jeunes s’offrent une seconde chance en suivant une formation qualifiante afin d’obtenir une situation plus stable et durable.

Etant rapidement en emploi mais sans qualification, leurs situations professionnelles peuvent quelquefois rester instables à cause de contrats précaires. Pourtant, aucun de ces jeunes ne témoigne d’une vision négative quant à sa situation. Loin d’être naïfs, ils ont pris conscience de l’importance d’obtenir une qualification supérieure et cet état d’esprit optimiste leur permet d’envisager et de s’engager dans une formation de manière ambitieuse. Par ailleurs, il est intéressant de noter que ces jeunes vivent pour la plupart dans leur propre logement, alors que l’âge moyen de départ du domicile familial avoisine les 23 ans. L’autonomie résidentielle est propice aux projets, et imaginer acheter une maison ou louer un appartement plus spacieux est synonyme de réussite. En plus d’être autonomes, beaucoup d’entre eux vivent en couple. Et contrairement à ce que nous pourrions croire, les anciens de la MECS La Providence envisagent la vie familiale comme un projet, et ne semblent pas presser de fonder une famille, comme une majorité d’autres jeunes en France.

La comparaison des témoignages au portrait type de la jeunesse actuelle démontre donc une forte affirmation d’autonomie chez nos anciens jeunes, teintée d’optimisme! De plus, nous observons un décalage dans le franchissement des étapes vers la vie adulte : soumis au même contexte économique et social, les anciens de l’ASE semblent s’adapter plus facilement à la vie adulte et s’y faire une place. Au regard des situations des anciens de MECS La Providence, les préjugés qui entourent ces jeunes semblent dès lors peu justifiés, et constituent même souvent un leitmotiv pour avancer.

Leur vision positive de l’avenir, les projets futurs qui les guident, les rêves qui les poussent et les motivent sont autant d’éléments allant à l’encontre des représentations sociales portées à leur égard.

Il serait davantage pertinent d’élargir une telle étude d’un point de vue géographique, volumétrique et en termes de types de prises en charge afin de mobiliser davantage de résultats et de mesurer de manière plus fine les situations et les parcours. Bien que pouvant quelquefois bénéficier d’un contrat jeune majeur, et d’une aide personnalisée jusqu’à l’âge de 21 ans au plus tard, les jeunes de l’ASE n’ont d’autres choix que d’entrer rapidement dans la vie active, et subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens, sans possibilité de miser sur un étayage familial. On appelle cela l’injonction d’autonomie. Nous pouvons donc dire que les anciens de la MECS La Providence, dans ce contexte d’urgence, s’en sortent plutôt bien puisque aucun des jeunes rencontrés en entretien ne semble avoir trébuché. Tous ont une situation, aussi précaire soit-elle, mais ils subviennent à leurs besoins en toute autonomie.

Éclairer cette notion d’injonction d’autonomie doit interroger les acteurs de la protection de l’enfance à toutes les échelles. L’ONED a déjà émis quelques recommandations à cet égard mais on peut imaginer des pistes réflexives, tout comme envisager d’affiner les pratiques professionnelles autour de l’accompagnement des jeunes encore en établissement. Nous pouvons également nous interroger sur les liens entre les politiques de l’enfance et les politiques de la jeunesse. Segmentées dans leurs missions et leurs enjeux, ces deux politiques sociales gagneraient à être davantage liées afin de répondre de manière plus adéquate aux besoins des futurs majeurs.

Force est de constater que la création et l’ouverture du service d’accompagnement extérieur Le Goéland semble dès lors parfaitement s’inscrire dans la continuité de l’action éducative proposée par la MECS la Providence. En misant sur la valorisation des compétences et en proposant un suivi personnalisé en logement individuel ou sous le mode de la colocation, et ce dès l’âge de 16 ans, ce service répond au souhait de diversification des modalités d’accompagnement proposées à des mineurs confiés à l’ASE. Il permet de favoriser l’autonomie et d’anticiper sur la fin de leur placement, et constitue un temps d’expérimentation facilitant le passage du statut de mineur protégé à celui d’adulte responsable.

L’autonomie doit donc être considérée comme une notion clé dans le travail social au sein des établissements et des dispositifs de suivi des jeunes. Par ailleurs, une démarche de réflexion a été engagée par les services de protection de l’enfance du Conseil Départemental de Vaucluse, sur le soutien à l’autonomisation des jeunes suivis par l’ASE. La volonté d’associer l’ensemble des acteurs de terrain autour de ce sujet témoigne d’un intérêt partagé sur la question du devenir des jeunes qui nous sont confiés, et du souhait de s’inscrire concurremment dans des perspectives innovantes.

Co-Rédigé par :

Doriane SILVESTRE, diplômée Master 2 Politiques Sociales, Université d’Avignon Contact : doriane.silvestre@gmail.com

Christelle FOURNIER, directrice de la Fondation la Providence, Département de Vaucluse. Contact : c.fournier.laprovidence@orange.fr